L’employeur peut se tromper, de bonne foi !

L’employeur peut se tromper, de bonne foi !

Published on : 16/10/2018 16 October Oct 10 2018

La Cour de cassation avait déjà jugé que le choix de la mesure de réorganisation fait par l’employeur pour sauvegarder la compétitivité de l’entreprise relevait de son seul pouvoir souverain, le juge, saisi d’une contestation du bien-fondé du licenciement pour motif économique prononcé par la suite, ne pouvant en aucun cas contrôler la pertinence de ce choix (voir Cass. Ass. Plén. 8 décembre 2000, n°97-44219 ; Cass. Soc. 3 octobre 2001, n°00-15267 ; Cass. Soc. 8 juillet 2009, n°08-40046 ; Cass. Soc. 24 mars 2010 n° 09-40444 ; Cass. Soc. 29 février 2012 n° 10-26185).

La Cour de cassation s’est également prononcée sur la portée des décisions de l’employeur quand celles-ci ont pu concourir à la dégradation de la situation de l’entreprise, énonçant que l’erreur éventuellement commise par l’employeur dans l’appréciation du risque inhérent à tout choix de gestion n’est pas de nature à priver le licenciement pour motif économique de cause réelle et sérieuse (Cass. soc. 22 septembre 2011, n° 10-16171).

La haute Cour va désormais plus loin en énonçant explicitement que les décisions de gestion du chef d’entreprise, « quand bien-même elles auraient pu aggraver les difficultés économiques de l’entreprise », ne caractérisent nullement un manquement de sa part à l’exécution de bonne foi du contrat de travail (Cass. Soc. 24 mai 2018, n° de pourvoi 16-18307).

Dans l’affaire dont la Cour de cassation a eu à trancher, plusieurs salariés, licenciés pour motif économique, avaient saisi la juridiction prud’homale pour obtenir des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, faillite frauduleuse et exécution déloyale de leur contrat de travail.

Ils reprochaient notamment à leur employeur, à l’encontre duquel une procédure de liquidation judiciaire avait par la suite été ouverte, d’avoir cédé ses plus importantes filiales à bas prix dans lesquelles des salariés licenciés auraient pu être reclassés, et d’avoir engagé, alors que la société était en difficulté, d’importantes dépenses de fonctionnement notamment pour la rémunération des dirigeants et même, pour certaines, sans justification précise.

La cour d’appel de Versailles, même si elle avait rejeté les accusations de faillite frauduleuse, avait considéré que le comportement de l’employeur avait contribué à aggraver la situation économique de l’entreprise et fait perdre aux salariés une chance de préserver leur emploi ou de bénéficier d’un reclassement dans les sociétés cédées, et avait fixé en conséquence au passif de la liquidation judiciaire de la société des condamnations à des dommages et intérêts pour exécution déloyale des contrats de travail.

La Cour de cassation casse l’arrêt de la cour d’appel en décidant que « les décisions de gestion du chef d’entreprise, quand bien-même elles auraient pu aggraver les difficultés économiques de l’entreprise, n’étaient pas de nature à caractériser un manquement à l’exécution de bonne foi du contrat de travail ».

Une telle décision ne signifie toutefois pas que la liberté de l’employeur est sans limite ; ainsi, même si ce dernier est en principe souverain dans ses choix de gestion, il doit se garder de tout abus.

En effet, une faute intentionnelle ou d’une particulière gravité qui serait commise par le dirigeant dans la gestion de la société serait de nature à rendre sans cause réelle et sérieuse le licenciement pour motif économique prononcé, quand bien même la réalité des difficultés de l’entreprise ne fait aucun doute.

Il convient à cet égard de distinguer la simple erreur qui pourrait être faite, de bonne foi, par l’employeur de la faute d’une particulière gravité, constitutive d’une légèreté blâmable (voire d’une fraude), qui est caractérisée par un acte anormal de gestion, que les juges du fond apprécient au cas par cas (recrutement d’un salarié à une période où des difficultés existaient déjà dans l’entreprise, Cass. soc. 26 février 1992, n°90-40364 ; carence fautive de l’employeur qui n’a pas mis en place les actions nécessaires en dépit d’alertes ; etc..).

Préconisation : en cas de doute sur l’opportunité d’une décision de gestion alors que l’entreprise est déjà fragilisée, nous vous invitons à consulter votre conseil habituel.

Aurore Linet – Avocat
 

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